À partir de ce jour, Oliver partait un peu plus tôt chaque matin, et rentrait un peu plus tard le soir. Il échangeait ainsi quelques « passes » avec George, et les deux garçons apprenaient à se connaître. C’était comme si le ballon effaçait tout ce qui les séparait.
Au début, Oliver se montrait un peu brusque, donnait des coups d’épaule ou prenait le ballon avec les mains, au grand désarroi de George qui tentait de lui expliquer les règles de ce nouveau sport. Oliver fut stupéfait d’apprendre qu’on n’avait pas le droit de taper son adversaire, ni de lui faire un croche-pied, ni de le mordre. Il y avait tant de règles à respecter ! Mais au final, ce n’était pas si mal comme sport.
Un après-midi, pendant qu’ils goûtaient ensemble, Oliver dit à George :
- Je voudrais monter une équipe de football avec les garçons du village ! J’aimerais beaucoup leur apprendre ce sport !
- Oh, dit George d’un air soudain triste.
Oliver fut surpris et demanda :
- Ça va pas ? Qu’est-ce qu’y a ?
- Non, dit George, c’est juste que… J’ai été heureux de vous connaître.
- Mais de quoi parlez-vous ? s’écria Oliver. Je ne vais nulle part ! Et vous non plus j’espère ?
- Mais si, voyons, lui dit George. Vous êtes la seule personne que je vois, en-dehors de mes parents et des serviteurs. Mais ce n’est pas pareil, vous comprenez ? Si vous jouez au football avec vos amis, vous ne viendrez plus ici, et d’ici peu, vous m’aurez oublié…
- Mais ça n’a rien à voir, protesta Oliver. Et puis, je vois qui je veux ! Je ne suis pas un de vos domestiques !
Il regretta aussitôt ses paroles. Il aimait bien George, et malgré leurs différences, il le considérait comme un ami, au même titre que Jo, Fred, Peter et Mitch, ses copains du village. George le regarda d’un œil noir, serra les mâchoires, et se leva.
- Puisque c’est comme cela que vous voyez notre amitié, je pense qu’il faut y mettre fin.
Oliver voulait dire quelque chose, mais il n’avait jamais été très fort avec les mots. George attendait des paroles de réconfort, mais elles ne vinrent jamais. Il finit par perdre patience et cria :
- Et puis zut, à la fin, je ne veux plus jamais vous voir ici !
George shoota un grand coup dans le ballon et s’enfuit.
Étaient-ce des larmes qu’Oliver avait aperçues dans les yeux de son ami ?
Il resta un long moment figé sur place. Il alla parler à Mary. Il lui expliqua ce qui s’était passé. Elle lui dit d’une voix douce :
- Il a tellement changé depuis qu’il vous connaît !
Il n’a pas toujours été heureux… et je crois bien qu’il a peur de se retrouver seul.
Oliver réfléchit à ce qu’elle venait de dire. Les idées se bousculaient dans sa tête.
Mary finit par se racler la gorge pour attirer son attention.
- Euh ? demanda Oliver d’un air idiot.
- Que Monsieur Oliver m’excuse, dit-elle, mais il me semble qu’il serait utile à Monsieur Oliver de savoir que la chambre de Mylord est juste au-dessus de l’escalier, à droite en sortant de la cuisine. Monsieur a filé sans prendre sa potion du soir, et vous pourriez lui porter.
- Okay, dit-il, empoignant le verre qu’on lui tendait.
Il trouva la chambre, frappa à la porte, et entendit George crier d’entrer. Il poussa la porte et trouva son ami assis sur un grand lit, les yeux rouges.
- Que faites-vous ici ? s’étrangla George en s’essuyant rapidement les yeux.
- Je suis venu m’excuser, dit Oliver, regardant autour de lui pour trouver un endroit où poser le verre. Je ne sais pas comment ça se passe chez vous autres, dit Oliver, mais chez moi, quand on a un copain, on peut en avoir plusieurs. On n’est pas des jaloux ou je ne sais quoi. Moi j’aime bien venir ici… j’aime bien jouer au football, ajouta-t-il. Vous comprenez ?
- Je comprends dit George, je suis désolé. Je viens d’un endroit où ça ne se passait pas comme ça. Si vous n’étiez pas dans le bon groupe, on vous faisait du mal toute l’année, on vous faisait des crasses, on piquait vos affaires… C’était dur. Je ne sais pas… j’ai eu peur que ça recommence.
Oliver secoua la tête. Comment est-ce qu’ils fonctionnaient, dans la haute, pour réagir comme ça ? La vie est trop courte pour se prendre la tête avec des choses pareilles ! Ses copains étaient des gars simples, ils aimaient s’amuser ensemble, faire des bêtises, chiper des pommes, aller nager. S’il venait quelqu’un de plus, on lui faisait de la place, et puis c’était tout. « Il y aura toujours une place de plus autour du feu » disait son père.
Il eut une idée.
- Je sais ce qu’on va faire, dit-il, on va apprendre le football aux autres ! Vous verrez, vous n’aurez plus peur, quand on fait partie de la bande, c’est pour toujours !
***
Lord Hemblington rajusta ses bésicles pour observer son fils. Il vit que le garçon était tout à fait heureux. Il dit :
- Donc, si je comprends bien, vous voulez que je finance l’équipement d’une équipe de… comment dites-vous déjà ?
- De football, Mylord. Je pense que ce jeu a un brillant avenir ! Et ce sera moi le capitaine.
Lord Hemblington réfléchit. Il n’avait pas vu son fils aussi enthousiaste depuis longtemps. Rien que pour cela, il allait dire oui. Mais, entre nous, il ne croyait guère à l’avenir de ce nouveau sport…